le pouvoir de consumation ?

Publié le par nico'argh

On parle beaucoup de pouvoir d'achat, ces derniers temps. On parle aussi beaucoup du Tibet, certes, et des JO, mais bon, j'ai pas d'opinion suffisement tranché sur les JO pour en parler ici maintenant. Par contre pour le pouvoir d'achat, j'ai une opinion, donc je vais en parler. Non, c'est un raisonnement barbare. Mais j'ai remarqué quand même un truc bizarre, par rapport a cette notion de "pouvoir d'achat".

"Le pouvoir d'achat ! Mais est ce que c'est vraiment un pouvoir ?!" plaisantait Omar dans le "SAV des emissions", sur Canal+. Une fois encore, la télé comme base de raisonnement, je ne sais pas ce que ça vaut, mais essayons quand même. Mon argument, qui découle de cette blague d'Omar - de la terrible verité ephémère de l'humour -, il est simple, c'est que le pouvoir d'achat, c'est un oxymoron.

L'achat n'est effectivement pas forcément un pouvoir, selon moi ; ne serait-ce pas plutôt une servitude ? Acheter, est-ce une liberté ? Si l'achat est synonyme de consomation (et ne l'est-il pas, consubstantiellement, surtout dans nos sociétés modernes "civilisées" ?), la consomation, pour reprendre l'idée de George Bataille, ne serait-elle pas plutôt une "consumation" ? Une fuite de la conscience dans la possession de l'objet ... ?

J'avoue que je me défie de certains aspects des approches anthropo-philosophique structuralistes, notement dans leur rapport à la liberté. Mais l'idée devellopée par Foucault dans son histoire de la sexualité, pour ce que j'en sais, pourrait aussi bien s'appliquer au pouvoir d'achat. Avouer son orientation sexuelle, revendiquer son pouvoir d'achat, n'est ce pas le même versant d'une volontée (aliénée ?) de puissance, une forme d'identification pour l'individu ? Les revolutions sexuelles prenait pour objet l'affirmation/aveu du sujet comme"gay" ou "hétéro" (ou autre, zoophile, etc lol) ; ne s'affirme-t'on pas également, dans notre monde, par ses pratiques consomatoires : "dis moi ce que tu consomme, je te dirais qui tu es" ? La marque, la mode, ces stigmates du néo-communautarisme, passent, justement,  il me semble, par le pouvoir d'achat, du moins pour une trés grande frange de la population, celle qui n'estime pas que porter les vieux pulls de ses ailleux est le summum du "hype". Du moins, c'est ce qui transpire de la structure du discours officiel, et qui semble étre bien recu par la population (mais, qui veut étre pauvre ? le pouvoir d'achat est un enjeu politique central, en france, juste aprés l'emploi, c'est le second sujet de préoccupation des citoyens) : le pouvoir d'achat EST un but et une fin en soi pour le citoyen-consomateur.

Pauvre, riche. Homo, hétéro. Fou, sain d'esprit. Pathologique, normal. Ces antinomies de la normalité (à un "n" près, normalité est l'anagramme de moralité... et pour l'analyse de la moralité, je renvoie à Nietzsche, qui a tout dit) poussent, guident, encadrent, structurent l'individu sur le chaotique chemin du progrès. Le pouvoir d'achat, donc, serait la "nouvelle" (si on peut parler de "nouveauté" en parlant de la paupérisation de masse) étape du progrès.

Entendons nous : il y a "pouvoir d'achat" et "pouvoir d'achat". Il y a le minimum vital, ce qui est necessaire pour acheter la bouffe, pour survivre. Et le superflu, ce qui permet d'exister "en soi", comme aurait dit Sartre, d'être ce qu'on est, comme un sapin existe comme sapin entouré de guirlandes une fois qu'on les lui accroche. Si on s'intéresse au pouvoir d'achat comme désir de consumation, comme volonté de puissance, bref, comme stérotype maint et mainte fois dénoncé par les critiques de la consomation de masse, et qu'on se place, donc, dans une perspective structuraliste, on peut donc conclure que c'est effectivement un oxymore.

L'acheteur est en effet "assujetit" a son rôle d'acheteur, pris dans ces fameuses relations de savoir-pouvoir : ce qui apparait comme une liberté (le "pouvoir" d'achat) présente également beaucoup de signes de la dépendance (les pathologies de la consomation, les phénomènes de modes sociaux, etc) ; ce qui est présenté comme un pouvoir est aussi une catégorie (le "sujet achetant") qui permet de "savoir", de connaitre et de "surveiller" (cf.Foucault)  l'individu. Catégorisé, d'autant mieux normalisé qu'il est convaincu du fondement moral du processus de consomation, et de sa légitimité politique a acheter, l'individu est aujourd'hui (plus que jamais) pret a tolérer, a adopter les discours sur le pouvoir d'achat  voir même a revendiquer et a voter pour ce qu'il considère comme une prérogative et un pouvoir "ontologique".
Ce qui apparait comme une revendication légitime ("travailler plus pour gagner plus" et donc "gagner plus pour dépenser plus", un slogan qui aurait déja fait fureur sous la monarchie de juillet), qu'elle recoive un acceuil cynique et sceptique (les futur-ex employés d'Arcelor Mittal en savent quelque chose) ou optimiste et enthousiaste, n'est en tout cas pas fondementalement remise en cause dans les discours, preuve de son imprégnation totale dans l'épiderme le plus profond de la société. Le pouvoir d'achat est aujourd'hui pour tout les français (sauf les plus petits, et encore ! j'ai vu ce matin une émission sur arte ou les petits merdeux placaient la richesse et la célébrité au premier rang de leurs critères pour un avenir réussi...) une "institution totale" : c'est ce que nous révèle le vocabulaire, l'impunité joyeuse de cet oxymore obscène qui se balade de bouche en bouche, et que l'humour nous dévoile parfois fugitivement dans toute sa difformité : "le pouvoir d'achat".

Sous son angle superflu, le pouvoir d'achat n'est pas un pouvoir, c'est une servitude aux images du bonheur, une sujestion volontaire aux tyrannies potentielles du biopouvoir, pour mélanger La Boetie à Foucault (si on peut les mélanger, ça j'en sais rien, pas sûr que Michel fusse du gout d'Etienne...).
Considéré sous l'angle du necessaire, le pouvoir d'achat n'est pas un pouvoir : c'est une servitude aux réalitées du quotidien, une aliénation diraient les marxistes. Mais une aliénation inévitable, parce qu'on ne peut pas éviter la vie (jusqu'à un certain stade du desespoir, du moins).
Alors, je suis prèt a considérer l'expression "pouvoir d'achat" sous le second angle, a accepter de dire que ce ne serait pas forcément un oxymore, mais plutot une espéce de paradoxe, bien que j'y prefèrerais dans ce cas là l'expression de "devoir d'achat" qui aurait au moins le mérite de la froide franchise. Je serais prèt a comprendre cette frénésie sémantique, cette espèce de hiatus etymologique qui se produit quand un terme technique d'économie, dans toute la subtilité de son abstraction, s'immisce sous les lunettes déformantes du débat public et politique... j'y serais prèt a condition que ceux qui en parlent ne s'affichent pas en Rolex, Top Model et Yacht divers, et qu'ils rapellent que ce pouvoir là n'est pas une puissance, mais un minimum.
La vie n'est pas un pouvoir, et la survie n'est pas tout à fait une vie, a mon avis.
Comme dirait un ami :
"monde de merde".

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C
Ton article me fait penser a cette pub pour une bagnole qui passe a la télé et la radio: elle proclame que les meilleures choses ne sont pas celles que l'on possèdent mais celles qui vous possèdent. faire de l'aliènation et de l'assujettissement a des objets un argument de vente, il fallait le faire...
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L
Quelle profondeur de réflexion! (rien d'ironique). Et dire que Steevy a plus de pouvoir d'achet que toi...<br /> (just un pti com pour te soutenir)
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